Face à la complexité et l’incertitude des interactions de causalité entre les phénomènes observables à la fois économiques et managériaux, les techniques de modélisation ne cessent de se diffuser et de se diversifier. Actuellement, ils font même l’objet d’un marché en pleine expansion (vente de logiciels de modélisation ; prestations de services de modélisation et de simulation ; consulting de bureaux d’études spécialisés…).
Dans de nombreux cas, l'étude des systèmes (des processus ou des phénomènes réels) s’effectue grâce à leur modélisation, c'est-à-dire leur description à travers la création de modèles permettant de les expliquer, d’explorer leurs comportements, voire même de suivre ou contrôler leurs évolutions futures. En fait, la modélisation a pour vocation non seulement de favoriser une meilleure compréhension des comportements économiques, organisationnels et managériaux, mais aussi, par la meilleure connaissance qu’elle apporte, d’agir sur ceux-ci. Dans la pratique, elle consiste à concevoir et à utiliser des modèles qualitatifs ou quantitatifs pour lesquels il existe des moyens d’évaluation de performance en fonction des connaissances attendues (cognition théorique ou pratique).
Le terme modèle désigne alors toute représentation que l’on se fait du système/phénomène étudié. En sciences économiques, cette représentation reste, de manière structurelle, assez proche d’une réalité appréhendée à la fois par la théorie et par l’observation quantifiée, ce qui permet au modèle de jouer le rôle d'instance intermédiaire de validation empirique des théories afin d’identifier les lois régissant le fonctionnement des économies et les interdépendances qui sous-tendent les différentes sphères économiques, notamment macro-économiques et financières. Les modèles économiques permettent ainsi de mettre en œuvre des outils aidant à expliquer les processus économiques et leur dynamique endogène, voire même à simuler l'effet de certains chocs aléatoires sur les systèmes économiques (tels que les crises économiques résultantes de facteurs inconnus ou d’actions politiques déconcertées). Quant à la validation, elle s’effectue à travers une utilisation massive de formalismes et de techniques de quantification statistiques et économétriques (graphiques, indices, corrélations, régressions, classification, équations structurelles, etc.) en association avec des approches scientifiques hypothético-déductives ou des approches inductives.
Toutefois en sciences de gestion, l’acception générale des modèles prend d’autres visions et d’autres directions. Les modèles se présentent en tant qu’outils d’assistance qui ont pour vocation explicite l’aide à la décision, la mathématisation des comportements sociaux et la rationalisation des procédures de fonctionnement, de coordination ou d’organisation (Recherche opérationnelle, théorie des jeux...) et dont les applications touchent un vaste champ de disciplines de la gestion telles que la planification organisationnelle, l’allocation des ressources, les échanges économiques par des tableaux entrée-sortie, la gestion de projets, etc. Mobilisant mathématiciens et gestionnaires, l'impact des modèles trouve sa force dans une bonne articulation des décisions individuelles supposées rationnelles et des choix collectifs placés en général sous une règle manifeste d'optimisation, traduisant les exigences d’efficacité, d’efficience et de qualité dans tout système de gestion.
Par ailleurs, un autre type de modélisation qui s’est vu prendre de l’ampleur avec les progrès que connaissent l’informatique et les technologies associées, se fonde sur les algorithmes. En fait, le tournant computationnel et les atouts de l’algorithmique[1] ont pu favoriser le rôle des modèles dans le traitement des processus aléatoires (estimations statistiques complexes, simulation), en permettant des décisions en situation d’incertitude et de la dynamique des interactions individuelles, voire même une prise de décisions en temps réel favorisées par des flux massifs de données traités avec de grandes fiabilité et vélocité. Les rendus finaux, dans ce sens, se présentent sous forme de comptages et d’analyse des données statistiques, de visualisations graphiques (2D/3D) ou schématiques plus ou moins simples. Cette mutation informatique a donc modifié profondément tant la conception des modèles que les pratiques de modélisation et de simulation, et ont accentué le fait de considérer les modèles non plus comme des intermédiaires vers une théorie, mais bien comme des agents autonomes et de se concentrer sur la dynamique de construction et de manipulation des modèles (Morgan et Morrisson,1999[2])
La citation de George Box (1976) qui postule que « tous les modèles sont faux, mais certains sont utiles ! », sous-tend la présence de limites inhérentes à l’activité de modélisation. Quelque part dans la littérature, il est question de manquements d’ordres conceptuel ou applicatif au sein de la modélisation en sciences économiques et de gestion. Il s’agit d’abord du caractère réductionniste des modèles où seules quelques aspects du système ou du phénomène réel sont pris en compte de façon à disposer de formats assez simplifiés. Puis, du caractère instable des paramètres théoriques, ce qui pourrait nuire à la représentativité effective des modèles suite à la non prise en considération des changements encourus. Ou encore, il peut s’agir de limites liées aux méthodes statistiques employées dans le processus de modélisation, que cela soit au niveau de la spécification des variables (risque d’omission de variables primordiales ou d’hypothèses fondatrices de la théorie), ou au niveau de la validation empirique (manque de rigueur dans la mise en œuvre des méthodes statistiques), ou aussi au niveau du recours à certaines méthodes plutôt qu’à d’autres.
En outre, une des limites qui pourrait constituer un enjeu majeur de l’extension et du bon déploiement de l’activité de modélisation dans la sphère économique des pays en développement, comme le Maroc, concerne l’échec de la transposition des modèles d’économie et du management du Nord vers le Sud. Certes, les modèles mis en œuvre pour les pays du Sud et dans lesquels il n’est pas pris en compte la diversité des territoires et des cultures, la spécificité des environnements et surtout la vitalité conséquente des économies informelles tant répandues, excluent, ou à la rigueur, réduisent la participation des acteurs de modélisation et freinent l’expérimentation avec leurs propres capacités de créativité et d’apprentissage, ce qui entraine des insuffisances pouvant entacher les décisions prises à l’échelle des politiques économiques nationales.
Par ailleurs, la modélisation en économie et gestion, se trouve au cœur des travaux des chercheurs, acteurs et décideurs marocains qui l’appréhendent avec leurs propres visions et objectifs. Etant localement et temporellement située, l’activité de modélisation ne cesse d’évoluer en interaction avec le contexte scientifique, culturel et territorial. Les facteurs politiques, économiques et sociaux, aussi différenciés qu’ils soient, sont considérés comme des sources d’influence importantes sur les orientations des modèles mis en place et sur le degré de bénéfices économiques ou managériaux qui en découlent.
Cette manifestation internationale est un véritable carrefour où se croisent et s'échangent les idées, les expériences, les théories et les pratiques pouvant enrichir les champs liés à la modélisation lorsqu’elle est placée dans le contexte économique ou managérial.
Ainsi, le colloque vise pour un premier dessein, à mettre en évidence les axes de recherche qui privilégient l’analyse et la critique des pratiques de la modélisation et des modèles de plus en plus utilisés dans l’analyse et l’évaluation économiques et dans la prise de décision des organisations. A ce titre, une interrogation mérite d’être soulevée sur les approches cognitives de ces pratiques et sur les fondements épistémologiques et sociaux qui garantissent la fiabilité de ces modèles lorsqu’ils sont appliqués à des domaines, tels que les sciences économiques où confluent et interagissent des théories plurielles. À l’heure où les modèles économiques et de gestion sont de plus en plus accessibles, une attention particulière est accordée, d’une part, aux travaux mettant en avant les avantages que la modélisation peut offrir au développement de la recherche scientifique en général, et nationale en particulier, et d’autre part, aux défis et aux préoccupations de l’adéquation relative à l’usage des modèles dans les milieux économiques et managériaux.
Puis, pour un deuxième dessein, il est question de mettre l’accent sur l’importance des méthodes modernes de modélisation, de simulation, d’algorithmique et d’intelligence artificielle en concomitance avec la stratégie globale de la transition numérique des économies à l’échelle mondiale tout en faisant le point sur les principaux aspects de leurs praticités et de leurs limites ainsi que sur leurs retombées en termes de développement économique et de performance des organisations notamment marocaines.
Et pour un dernier dessein (qui n’en serait pas nécessairement l’ultime), il s’agit de susciter le débat sur l’importance de la construction collective d’outils de modélisation (ou d’adaptation de modèles existants) à l’échelle territoriale en tenant compte des nombreux enjeux et spécificités de types socio-économique, culturel ou environnemental, afin d’assister les acteurs et décisionnaires régionaux dans l’apport de réponses aux besoins économiques et de management territorial de grande portée.
Axes de recherche/ lines of research
Les thématiques de recherche qui seront sujets d’études, de discussion et de débat, sont regroupés en trois classes d’axes, dont la première comprend les aspects théoriques et applicatifs de la modélisation de manière générale, alors que les deux dernières classes présentent des axes selon que la modélisation concerne les domaines de l’économie ou ceux de la gestion. I. La modélisation : aspects théoriques et numériques
II. La modélisation en économie & finance
III. La modélisation en gestion
Cette énumération des axes de recherche est non exhaustive et reste ouverte à toute proposition de communication pouvant enrichir le thème du colloque. |
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